Cameroun – Ramassage des ordures ménagères : Le PDG de Hysacam, Michel Ngapanoun, dit toute la vérité.


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  • 8 septembre 2022

A la suite d’une séance de travail tenue le 24 août 2022 à Yaoundé, entre les principaux responsables de la société d’hygiène et salubrité du Cameroun (Hysacam) et ceux du ministère de l’Habitat et du développement urbain, sous la conduite du ministre Célestine Ketcha Courtès, le Président directeur général de la société Hysacam, Michel Ngapanoun, pose clairement le problème du ramassage des ordures ménagères sur la table du gouvernement.


En exclusivité, les éclairages de Michel Ngapanoun :

« Je tiens d’entrée de jeu à remercier madame la ministre, pour l’initiative de cette rencontre. Il faut déjà le dire, pour le déplorer que, le modèle camerounais de gestion de déchets municipaux fait face à des crises répétées, qui ont poussé le gouvernement à se tourner vers d’autres expériences pour s’inspirer des pratiques à succès et refonder son modèle. Mais, il est évident que si les problèmes ne sont pas bien formulés, il sera difficile de copier les solutions. En effet, comme dit l’adage, un problème bien posé est à moitié résolu. C’est pourquoi nous pensons que l’expérience Rwandaise doit nous inspirer la formulation des réponses concrètes aux problèmes auxquels nous sommes confrontés et non servir de prétexte à un copier/coller qui seraient certainement inopérants et inefficaces.

Madame le Ministre, je suis accompagné à cette séance de travail, de monsieur Nguema, ingénieur de conception polytechnique de Yaoundé, et Directeur des opérations à Hysacam, ainsi que du Docteur Ymélé, Directeur de l’agence Hysacam de Douala. Nous allons articuler notre intervention sur cette présentation, cette introduction. Ensuite monsieur Nguema, qui a été à Kigali avec vous, présentera notre plan d’action. Et je tiens à rappeler que messieurs Nguema et le Dr Ymélé, avaient déjà fait le voyage à Kigali avant votre mission. Parce que nous étions surpris d’entendre que Kigali est plus propre, pourtant au Cameroun nous avons une entreprise qui travaille depuis 53 ans et qui a plus de 100 ingénieurs qui travaillent au quotidien. On s’est demandé qu’est-ce qui peut justifier cet état de propreté à Kigali, alors que le Cameroun connait des perturbations.
Madame le Ministre, avant d’entrer dans le vif du sujet, c’est à dire le voyage à Kigali, permettez-moi de ressortir quelques-uns des problèmes fondamentaux, accompagnés des illustrer et des exemples concrets.

Le premier problème fondamental est le laxisme dans l’application de nos lois et règlements, qui entraine à tous les niveaux une indiscipline généralisée. D’ailleurs vous venez vous-même de le relever dans votre propos liminaire. Ces conséquences, impactent inévitablement la qualité de la propreté et plus généralement la qualité de la ville (transformation des rues et caniveaux en dépotoir, inapplication des règles d’hygiène et de salubrité, non-respect du code de la route). Il est clair que sans discipline, aucune solution ne peut efficacement être mise en place.

Le deuxième problème et celui-ci de l’inadaptation des infrastructures urbaines, face à l’expansion géographie et démographique galopante. Nous laissons prospérer au cœur de nos villes, des immenses zones inaccessibles et de non droit, où les règles d’urbanisme sont complètements foulés aux pieds. Nous tardons également à créer des structures de transfert, qui peuvent nous permettre de faciliter le transport des déchets.
Le troisième problème est celui de l’inadaptation des contrats face aux besoins. Comment comprendre par exemple que pour la ville de Yaoundé, les objectifs contractuels et donc financiers, soient fixés à 1 200 tonnes de déchets ménagers à collecter par jour, alors que la ville en produit plus de 1600 tonnes par jour. Je rappelle que les termes de référence, les DAO, du marché actuel, avaient fixés les objectifs de collecte à 50% de la production journalière des déchets. On ne peut pas dire après que le prestataire est dépassé. Alors que les objectifs qui lui ont été fixés et sur la base desquels il a dimensionné ses équipements de travail, ont été largement sous-estimés.
Le quatrième problème est le non-respect des délais des règlements. Or s’agissant d’un service de base, dont l’approvisionnement des intrants ne peut être reporté, il devient logique que la qualité de la propreté en pâtisse.


À regarder attentivement ces problèmes, nous verrons que des solutions peuvent être apportées. L’expérience Rwandaise nous permettra de les confronter. Mais, si ces problèmes ne sont pas clairement adressés, il sera difficile de copier des solutions.

Madame le Ministre, je voudrais faire un petit rappel historique, pour illustrer ces problèmes. Depuis la fin des années 1980, l’application des textes sur la gestion des déchets représente un véritable défi. Je vais commencer par la loi du 13 juillet 1987 portant création des communautés urbaines de Douala et de Yaoundé ; et même des des communautés urbaines de manière générale ; ainsi que de certaines mairies d’arrondissements. Cette loi prévoyait que la collecte des ordures ménagères soit du ressort des mairies d’arrondissements.
Mais, ce qui a été observé sur le terrain c’est que, à Douala par exemple, une fois le contrat arrivé à terme en 1992, le délégué du gouvernement de l’époque, Pokossy Ndoumbé, a renouvelé son contrat et à continuer à travailler avec Hysacam. À Yaoundé, par contre, à la fin du contrat en 1992, le délégué du gouvernement de l’époque, Emma Basile, a résilié le contrat et n’a plus continué ces prestations avec Hysacam. On met en place au niveau du ministère des Finances, avec le ministère de l’administration territoriale, le plan social d’urgence (PSU), qui va durer 4 ans.
Et on signale à cette époque à Yaoundé, plus de 100 camions neufs et plus de 5000 personnes mobilisées. Et nous savons tous le résultat à cette époque. Yaoundé était très sale. Malgré cette impressionnante mobilisation. Les archives du ministère des finances ont ces informations. Et c’est en 1998, à la faveur d’un remaniement gouvernemental, qu’une nouvelle approche va être impulsée, avec une entreprise professionnelle. Ce nouveau ministre des Finances, à l’époque, était monsieur Akame Mfoumou.

Le deuxième fait à relever dans ce changement est que, le premier ministre de l’époque étant en congés, on a désigné ce ministre de Finance, pour assurer son intérim. Et pendant cette période, il reçoit des instructions de la présidence de la République, pour revoir certaines choses. Et une anecdote nous dit que, le président de la République aurait reçu quelqu’un au Palais, et dans leurs échanges, celui-ci lui aurait dit que : « Ma maison se situe au quartier X, à la rue Y, après un premier tas d’ordures qu’on traverse, puis on traverse un deuxième et un troisième tas d’ordures. Et exactement au quatrième tas d’ordure, se trouve ma maison ». Cette description a traumatisé le président. Et il a demandé au Ministre Akame Mfoumou, qui assurait l’intérim du Premier ministre, de résoudre rapidement ce problème.
Ainsi, le ministre Akame Mfoumou, va donc arrêter avec ce Plan social d’urgence (PSU) et transférer les fonds de ce PSU, au service de la collecte d’ordures ménagères. C’est alors qu’on va mettre en place, au ministère des Finances, une subvention pour la collecte des ordures ménagères. Et je tiens à rappeler que, là, on ne respecte toujours pas la loi. Parce que, nous sommes encore sur la loi de 87, qui demande que la collecte des ordures ménagères soit du ressort des mairies d’arrondissements.
Il va falloir attendre la loi du 22 juillet 2004, pour que cette approche gouvernementale confirme effectivement l’attribution des compétences de collecte des ordures ménagères aux communautés urbaines. C’est-à-dire que, de 1998 à 2004, les communautés urbaines signaient des contrats dans l’illégalité. En 2004, on ramène alors la collecte des ordures ménagères aux communautés urbaines. Ce système propre au Cameroun, où la ville contracte et l’Etat paye grâce aux impôts collectés, a fonctionné correctement jusqu’à 2014, où le ministère des Finances commence à éprouver des difficultés de payements. Cette situation entraînera alors des grosses perturbations dans ce secteur d’activité.
Face aux difficultés du ministère des Finances à payer, en 2019, la loi des finances va instaurer les droits d’assises, pour pouvoir payer les prestations. Là encore on est devant une réalité, où les faits sont différents des textes. Cette taxe est destinée essentiellement au payement de la collecte, de l’enlèvement et du traitement des déchets. Mais dans la pratique, ces droits d’assises sont bien collectés, mais, on ne les a pas destinés aux paiements des prestations pour lesquelles on les a créés.
La loi 2019/024 du 24 décembre 2019, portant code général des collectivités territoriales décentralisées, vient préciser dans la chaîne de gestion des déchets, que les communes d’arrondissements s’occupent de la pré-collecte, tandis que la collecte est dévolue aux communautés urbaines. Cependant, son application n’est pas un bon modèle dans nos grandes villes, où la coordination et la gestion des deux activités restent troubles. Le cas de Douala par exemple, la communauté urbaine a lancé les appels d’offres de pré-collecte et a choisi des entreprises pour aller faire la pré-collecte dans les communes d’arrondissements. Aujourd’hui, les maires d’arrondissements contestent ces marchés, dont la mise en œuvre n’est pas satisfaisante.
Donc, il faut que les lois soient respectées. Il se dégage des constats précédents que, le cadre de l’état réglementaire qui régit la gestion des ordures ménagères et assimilés au Cameroun présente un éventail de lois, de décrets, et d’arrêtés, sans pour autant que cela n’engendre une évolution performante dans le secteur, car ces textes ne sont pas correctement appliqués, rendant le rôle des acteurs trouble.
Face à ces difficultés, la présidence va, en janvier 2017, demander que la concurrence soit instaurée dans le secteur d’activité. La mise en œuvre de cette haute directive présidentielle, connaît aussi des fortunes diverses. Depuis 2018, où les premiers appels d’offres ont été lancés. A Yaoundé par exemple, le marché, a été lancé et Hysacam a été le mieux disant sur les 03 lots. Et nous avons dû céder un lot à un concurrent, qui n’était pourtant pas pré-qualifié. C’est pourquoi, constatant la défaillance de cette société, la communauté urbaine nous a demandé de travailler dans toute la ville, depuis le 1er Avril.
Et nous continuons à travailler jusqu’à ce jour, alors que les règlements ne suivent pas toujours la cadence. A Ngaoundéré, nous avons aussi été le mieux disant dans l’appel face à trois autres concurrents, parmi lesquels cette même entreprise qui avait gagné le marché de Yaoundé et qui n’avait pas pu exécuter. À Douala, l’appel d’offre a été lancé et nous étions 4 concurrents. Hysacam a encore gagné. Et récemment en 2021, à Bafoussam, il y a eu un appel d’offre lancé, nous étions la seule entreprise à soumissionner, sans concurrent.
Vous comprenez donc madame le Ministre, le marché camerounais de gestion des ordures ménagères, ou alors, de collecte d’ordures ménagères n’est pas assez attractif pour les investisseurs. Et c’est dans l’une de nos propositions que nous avons évoqué cela, afin de faire tout notre possible, pour le rendre attractif.

Après cette introduction, si je peux dire, ce préalable, nous allons aborder le déplacement au Rwanda. La réflexion gouvernementale continue en vue d’assoir une politique stable et cohérente de la gestion des déchets au Cameroun. La propreté, question urgente, au cœur de plusieurs enjeux, est une aiguille dans le pied de beaucoup de pays en Afrique. Il ne s’agit pas d’un problème propre au Cameroun. Le Rwanda semble avoir tirer son épingle du jeu, par la mise sur pied d’une politique qui s’appuie sur un triptyque indissociable (la population, l’Etat et les entrepreneurs privés). La mission au Rwanda avait pour objectif, une immersion dans un pays autre, afin de voir comment une politique de développement urbain et de l’habitat intégrée, pouvait produire des aspects positifs sur le comportement civique, sur la qualité de l’environnement et par extension, sur la gestion des ordures ménagères, qui est élément clé de la cohésion sociale dans une cité.

A ma suite monsieur Nguema, qui est notre Directeur des opérations à Hysacam, va nous éclairer sur ce qu’il a constaté au Rwanda par rapport à ce qui est fait au Cameroun. Je vous remercie !
Propos recueillis par Samuel Bondjock

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