Malgré l’engagement pris par l’Organisation des Nations-Unies, à l’occasion des assises internationales de 2018, pour l’éradication de la tuberculose sur la planète d’ici 2030, les statistiques de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) restent encore les plus alarmantes, en ce sens que sur les 40 millions de personnes infectées par la tuberculose entre 2018 et 2022, seulement 26,6 millions de malades ont été traités. Face à cette contre-performance, un doigt accusateur est alors pointé sur la rareté des financements, pour combattre efficacement cette tueuse silencieuse.
Selon le Sénateur camerounais, , membre du Comité exécutif du Global TB Caucus, qui est le plus grand réseau parlementaire mondial indépendant, avec plus de 2500 parlementaires présents dans 150 pays dans le monde : « la situation est extrêmement grave. Le rapport 2022 sur la tuberculose dans le monde, publié par l’OMS précise qu’en 2021 par exemple, environ 10,6 millions de personnes étaient atteintes de tuberculose ; et plus de 1/10, soit environ 1,4 million de personnes en sont mortes. Soit beaucoup plus que celles qui sont mortes du paludisme et du Vih Sida réunies. Et sur ces 10,6 millions de malades ; environ 1/4, soit 2,5 millions sont enregistrés en Afrique ; avec au final 26% de malades décédés en 2021, soit 365 000 décès en Afrique ».
Prenant le taureau par les cornes, le Gouvernement camerounais, à travers le Programme national de lutte contre la Tuberculose (PNLT), du ministère de la Santé publique, s’est doté depuis le 10 Mars 2023, d’une feuille de route révisée. Il s’agit du Plan stratégique national (PSN 2023-2026), qui vise essentiellement à combler le gap des 50% de sous notifications des cas de tuberculose, avec le déploiement efficace des équipes en charge de la lutte contre cette maladie infectieuse. Les statistiques actuelles affichant notamment 22 866 cas de notifications en 2021 ; 25 286 cas en 2022 ; contre 25 722 cas enregistrés en 2023.
La sonnette d’alarme
Il faut reconnaitre, selon la Secrétaire permanente du PNLT, Dr Annie Bisso, que : « la mise en œuvre de ce PSN nécessite des moyens financiers assez importants, au regard des différentes interventions à mener sur l’ensemble du territoire national, jusqu’au niveau des populations du dernier kilomètre. Il nous faut par exemple un déploiement beaucoup plus important de Mentors ICF, d’APS, d’ACRA, d’ASCP et de Bikers, afin de mieux quadriller notre territoire. En outre, les objectifs de performance du PSN prévoit également une augmentation de l’offre en CDT (461), en CT (165), en FOSA satellites (3227), en équipements informatiques pour le personnel central, en médicaments (RHEZ, RH), en appareils de laboratoires (Microscopies, techniques moléculaires GeneXperts, etc) et en matériels roulants (véhicules, motos), pour une meilleure mobilité des équipes d’interventions ».
Malheureusement, le chronogramme de financements de ce PSN (2023-2026), chiffré à 80 945 470 000 FCFA, affiche déjà un déficit global assez inquiétant dans son exécution, de l’ordre de 48 459 527 000 FCFA. Un gap financier de plus de 60% qui paralyse complètement toute les chaines d’interventions de la lutte contre la tuberculose au Cameroun. C’est-à-dire que les besoins actuels en ressources financières, pour l’atteinte des objectifs d’éradication de la tuberculose au Cameroun d’ici 2030, ne sont couverts qu’à hauteur de 40% au plus, pour une carte sanitaire TB, qui présente alors 12 régions épidémiologiques, pour une population de 29 448 165 d’habitants selon la DHIS2 en janvier 2024 ; avec 345 CDT ; 1086 FOSA (Formations sanitaires) satellites des CDT ; 11 Centres de prise en charge de la TBMR ; 26 APS ; 500 ACRA ; 4018 ASCP ; et 260 Mentors ICF. Sans oublier les interventions dans les 77 prisons du pays avec un population carcérale estimée à 32 806 prisonniers ; et les camps des réfugiés assez surpeuplés, qui constituent également des populations cibles dans le cadre de cette lutte.
En référence à ce chronogramme de financements du PSN 2023-2026 présenté par le PNLT, les trois grands pourvoyeurs de fonds pour cette riposte TB au Cameroun sont précisément, l’Etat, avec son apport de 11 877 303 000 FCFA, avec entre autres l’achat systématique des médicaments auprès des fournisseurs ; le Fonds mondial (GC7) à hauteur de 19 763 430 000 FCFA ; et les américains (PEPFAR – CDC), avec une enveloppe triennale de 845 211 000 FCFA. D’où l’appel lancé le 1er Mars 2024 à Yaoundé, par le Dr Annie Bisso, du PNLT, à l’endroit des autres partenaires stratégiques et bailleurs de fonds nationaux et internationaux.
Les inquiétudes du terrain
Afin de toucher du doigt les incidences concrètes de cette crise de financements dans la lutte acharnée contre la tuberculose au Cameroun, notre enquête s’est intéressée au fonctionnement quotidien des structures opérationnelles de cette lutte, que sont les CDT (Centres de dépistage et de traitement). C’est ainsi que l’Hôpital protestant de Bangoua, l’un des trois CDT du département du Ndé, dans la région de l’Ouest Cameroun, nous a ouvert ses portes le 6 Mars 2024, via son point focal suivi TB.
Ainsi, l’Aide-Soignante, Marie-Claire Manto, nous précise que : « Le taux de fréquentation des malades tuberculeux dans notre Centre est estimé en moyenne à 20 patients par an. Nos statistiques affichent 21 cas de TB enregistrés en 2021 ; 18 cas en 2022 ; 21 cas enregistrés en 2023 ; et depuis janvier 2024, nous avons déjà enregistrés 4 cas de Tuberculose, qui sont actuellement sous traitement. Il s’agit notamment du traitement de première ligne qui dure 2 mois, avec le RHEZ, encore appelé 4 molécules (Rifampicine 150 mg ; Isoniazid 75 mg ; Ethambutol 275 mg ; et Pyrazinamide 400 mg) ; suivi enfin d’un traitement de deuxième ligne qui dure 4 mois, avec le RH, encore appelé 2 molécules (Rifampicine 150 mg et Isoniazid 75 mg). En dehors de ces cas de Tuberculose à Basculoscopie positive (TPB+), il y a également la Tuberculose osseuse, dont les patients sont pris en charge pendant 9 à 12 mois. Il faut surtout dire que nos patients tuberculeux sont systématiquement mis sous traitement et ceux-ci sont automatiquement soumis au test de VIH-sida, afin de rechercher s’il n’y a pas de co-infection. À la suite de cela, si tel est le cas, nous allons faire une descente sur le terrain pour tester tous les membres de cette famille, dans le cadre de la recherche des cas index. C’est ainsi que nous évoluons dans la recherche des cas. La difficulté que nous avons ici est que, très souvent nous avons des problèmes d’approvisionnement en intrants pour le bon suivi du traitement de nos patients, au niveau de notre centrale d’approvisionnement de Bafoussam, le GTR-TB (Groupe technique régional). Depuis 2022 jusqu’en 2024, nous enregistrons régulièrement des ruptures de stocks de RHEZ, ce qui pénalise énormément nos malades, qui finissent parfois par se décourager et à partir, d’où la baisse des taux de fréquentation dans notre CDT, par rapport au suivi de la Tuberculose. Il faut dire que le traitement de la Tuberculose est effectivement gratuit ici au CDT de l’hôpital protestant de Bangoua. Et nous tenons à dénoncer le fait que certains intrants, comme le RHEZ, qui est régulièrement en rupture de stock chez nous, se retrouve parfois dans le marché noir, où il est vendu aux malades, au prix de 1500 FCFA la plaquette. C’est déplorable. Généralement, les patients viennent ici à l’hôpital lorsqu’ils ne se sentent pas bien. Et lorsqu’ils présentent les symptômes clés comme la toux, la fièvre, les sueurs nocturnes et la perte de poids, nous les soumettons aux examens de crachat bar, que nous analysons dans notre laboratoire, qui est assez bien équipé en microscopie et même avec le Genexpert, pour les tests moléculaires, afin de mieux affiner nos diagnostics. C’est ainsi que nous procédons avant de mettre nos patients sous traitement. Et nous sommes heureux de constater que les résultats sont assez satisfaisants dans l’ensemble, malgré les difficultés rencontrées ».
Des réalités de terrain assez difficiles, entièrement partagées par plusieurs autres CDT, rencontrés sous anonymat dans le cadre de cette investigation. C’est vraiment à se demander, si à cette allure, l’objectif d’éliminer totalement la tuberculose dans le monde en 2030, sera vraiment atteint au Cameroun.
Samuel Bondjock
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